ae-breau.jpg, 29,5K

previous / next
return to index

Breaux Bridge

  

Breaux Bridge est la capitale mondiale de l'écrevisse,
une légende raconte que lorsque les Acadiens ont quitté
la Nouvelle-Ecosse pour le Bayou, ils ont été suivis par
un banc de homards, durant le voyage, au cours de mues
successives leurs carapaces sont devenues de plus en
plus petites. A l'arrivée en Louisiane, les homards s'étaient
changés en écrevisses.

 

Lafayette

Le soleil avait disparu, les gros nuages du golfe du Mexique commençaient à assombrir la fin d'après-midi. Les toits en tôle de Lafayette craquaient sous l'effet de la chaleur et les routes pleines d'ornières, remplies des averses de la veille, étaient recouvertes de tourbillonnants vols de moustiques. Nous avions suivi le soleil tout au long de la journée et mainternant qu'il s'était caché, nous pouvions nous arrêter. En panne de boussole, la soif nous fit stopper juste devant un bar du centre ville. Le portier qui racolait les passants, nous convaincu d'entrer, c'est vrai que son programme musical était alléchant et s'armant de courage, nous pénétrâmes à intérieur sur un plancher fait de grosses lambourdes, l'ambiance de néons bleus était enfumées, seul, un spot au fond de la salle crachait un blanc blafard. la décoration était sommaire, quelques guirlandes de noël flottaient au plafond et des cadres d'alluminium poli qui devaient dater des années soixante-dix étaient accrochés au murs et aux pilliers. Les afficionados de l'endroit étaient rassemblés en petit groupe à plusieurs tables de la zone la plus sombre. Une basse était posée sur une chaise abandonée...

Le bluesman égrena les premières notes coulées de the Sky is crying, au moment où, dans un soulagement le ciel se vida à flot. Au travers des vitrines, les clients du rade regardèrent les gouttes de pluie qui frappaient les briques du trottoir, elles semblaient rebondir dans des ruisseaux furieux et envahissants. Les caniveaux de la petite rue se transformèrent bientôt en un vaste fleuve. Les voitures chaloupaient dans des gerbes d'écume et d'eau salie, un camion de pompiers, tous feux allumés, traversa la rue, ses sirènes dramatiques accompagnèrent un instant le band qui s'échauffait. La batterie martelait. La basse au cœur du groove traçait des vagues sur lesquelles le guitariste s'empressait de surfer .

Noir, le nez dans les nuages, il était ruisselant de grosses gouttes de sueur, aussi grosses que celles, qui tombaient à l'extérieur, il astiquait le manche de sa guitare comme un forcené, maintenant il secouait la tête de gauche à droite pour s'ébrouer, il s'en fallut de peu, qu'il ne remplisse mon vers de Bud, et dans un sourire d'excuse, une dent en or remplaça un instant le soleil qui nous avait tous quitté, je lui donnais un buck, qu'un ami, grand fan de blues, m'avait confié avant de partir. Une idée me traversa l'esprit à ce moment précis, et si ce grand noir baraqué, si c'était cet homme qui faisait pleuvoir, et si tous les soirs quand il empoignait sa guitare, éclatait l'orage comme pour libérer tout ce petit monde de la canicule ? Ce service valait bien un dollar. Le sorcier de la pluie descendit de la petite scène et alla s'en jeter un au bar. Juste derrière nous, imposant comme un monument, il s'épongeait en grimaçant avec un torchon.